Rejet des minarets en Suisse : bien plus qu'une poussée du nationalisme.
C'est peu de dire que le résultat de la votation suisse sur la construction de minarets a surpris et ému dans toute l'Europe. Il faut se rendre à l'évidence, la Suisse n'est pas un monde à part, et le résultat n'aurait certainement pas été différent dans la plupart de nos pays. Mais avant d'essayer de comprendre les raisons profondes de ce vote, je voudrais juste faire une petite réflexion : quand des autorités acceptent de faire un référendum sur des questions absurdes et dangereuses, il ne faut pas s'étonner alors que la réponse soit absurde et dangereuse.
Pour en venir aux raisons de ce vote, la facilité serait de considérer qu'il ne s'agit que d'une poussée du nationalisme et de n'y voir que l'instrumentalisationl'instrumentalisation des partis populistes et de l'extrême-droitel'extrême-droite. Certes, cet aspect des choses existe et il convient de ne pas le négliger. Mais le mal est à mon avis bien plus profond que cela.
Je pense qu'il faut rapprocher la votation suisse du référendum Français de 2005. Certes, la question et le contexte ne sont pas les mêmes, mais le résultat porte à réfléchir : dans les deux cas, les peuples ont massivement voté contrairement au choix que leurs demandaient de faire l'immense majorité des élites politiques, médiatiques, intellectuelles ou culturelles. Beaucoup plus que la montée des nationalismes, c'est ce rejet des élites et surtout des intellectuels qui interroge et pose problème. La montée de l'extrême-droitel'extrême-droite et le repli sur soi n'en sont d'ailleurs qu'une expression.
Pourquoi ce rejet ? Les raisons sont évidemment multiples et complexes, sans avoir la prétention de toutes les donner, j'en vois quand même essayer d'esquisser quelques pistes.
A l'heure où tout est devenu communication et apparat, où les promesses n'engagent que ceux qui y croient, la parole des politiques est devenue caduque, sans valeur. Dans ce monde multipolaire, complexe et inquiétant, les médias et les politiques n'ont de cesse de toujours simplifier et de jouer sur les peurs. La parole de ceux qui essayent d'appréhender la complexité du monde sans se défiler est inaudible, perdue dans un flot d'images continuelles où jamais rien n'est expliqué, commenté.
La démocratie pour fonctionner a besoin de citoyens informés, cultivés, et encore plus dans une démocratie directe comme la Suisse. Ce ne peut être le cas dans une époque où les médias sont devenus des entreprises comme les autres, et où le profit et la rentabilité comptent peut-être encore plus qu'ailleurs. Là où les citoyens auraient besoin d'être respectés et considérés, on ne s'adresse plus à leur intelligence, mais à leurs pulsions. Il ne faut pas s'étonner alors qu'ils votent aussi en fonction de ces pulsions.
On peut s'interroger aussi sur le rôle des politiques qui ont démissionné devant les puissances de l'argent. En Italie ou en France, on ne compte plus les lois qui vont dans le sens d'une protection des riches, au détriment des plus pauvres et des plus fragiles. Il est trop simple de dire que les gens peuvent alors changer de dirigeants. Dans tous les pays d'Europe, les majorités se succèdent, de gauche comme de droite, et les comportements et les politiques menés sont les mêmes. Gauche et droite se confondent aujourd'hui, au point de ne plus vouloir rien dire.
Trahis par les politiques, lâchés par les intellectuels, abêtis par les médias, exploités par les grandes entreprises, les seules valeurs sûres qui restent sont celles de la famille et des proches. Le repli sur soi et la haine de l'autre sont d'abord le fruit d'une incompréhension et d'une inquiétude face à ce monde compliqué. Le vote suisse est d'abord et avant tout un appel à être considéré autrement par ceux qui ont la prétention de faire l'opinion.