Et si le grand mouvement social n'avait pas lieu !
Depuis des semaines, l'espoir (ou la crainte, c'est selon) d'un grand mouvement social qui changerait profondément la donne, à l'instar de ce qui s'est passé en Guadeloupe, est dans toutes les têtes. Pourtant, si tous les ingrédients nécessaires à une explosion sociale sont réunis (sentiment d'injustice, précarisation massive, peur du chômage, rejet du pouvoir, inexistence de l'opposition, etc...), il devient de plus en plus crédible que celui-ci n'aie pas lieu rapidement. Du moins pas sous la forme que l'on a connu aux Antilles.
A cela il y a plusieurs raisons, la première étant le manque de lisibilité de la stratégie syndicale. Par frilosité, par peur de briser la nécessaire unité, aucun n'ose se lancer dans un appel à la grève générale reconductible, qui serait pourtant à mon avis le seul levier pour faire reculer le gouvernement sur le pouvoir d'achat et sur un certain nombre de réformes fortement contestées. La seconde raison est que nous ne sommes plus dans les années 70, où tout un secteur pouvait débrouiller par solidarité avec les collègues d'une autre entreprise. Aujourd'hui, l'individualisme a pris le dessus, et ce qui se passe chez Sony, CaterpillarCaterpillar ou Continental choque et émeut, mais ne pousse pas les gens à se mobiliser sur leur propre lieu de travail.
Pourtant, l'incertitude qui existe sur la possibilité de futurs grands mouvements ne devrait pas réjouir le pouvoir. Mai 68 ne se reproduira peut-être pas dans l'immédiat, mais les nuages noirs et la colère de millions de travailleurs ou de chômeurs sont bel et bien présents. Et il faudra bien qu'ils s'expriment.
C'est d'ailleurs ce à quoi on assiste depuis quelques temps, avec des conflits locaux de plus en plus violents. Plutôt qu'une révolution, ce sont des dizaines, voire des centaines de jacqueries locales qui se profilent. Tout cela donne évidemment un contexte économique et social très perturbé, mais surtout beaucoup plus difficilement contrôlable pour le pouvoir, lequel en se radicalisant à son tour, en tenant des discours péremptoires contre les ouvriers en colère prend le risque de voir se multiplier les actes de désespoirs dans les entreprises.
Pour l'instant, à la mi-avril, nous ne sommes absolument pas dans l'optique révolutionnaire que certains politiques appellent pourtant de leurs voeux, les mobilisations sont trop disparates et isolées les unes des autres pour cela. Pour autant, si Mrs Sarkozy et consorts continuent à nier ostensiblement le malaise social, si rien n'est fait pour changer le sentiment d'injustice qui prévaut sur la politique actuelle du gouvernement Fillon, si les moyens de l'Etat continuent perpétuellement à être mis pour la protection des puissants et des riches, alors une fédération des colères deviendra possible. Nous n'y sommes pas encore, mais rien n'indique que nous n'y allons pas.